Bleu : Rue des Boulets
Et dire qu'hier j'avais cru faire la liste complète de mes phobies ératépéennes ! Inconsciente, va ! C'est à Rue des Boulets
(nom prémonitoire s'il en est - mais, au fait, d'où vient-il ? ) que je
me suis rendue compte de mon erreur ... déjà sur le quai, IL trépignait
d'impatience et suffoquait presque d'indignation, protestant pour
recouvrer sa liberté de mouvement.
Puis IL a sauté dans le wagon,
focalisant l'attention sur LUI, point de convergence de tous les
regards, objet des convoitises mielleuses des unes, terreur des
collants et des vêtements fragiles pour les autres ... il est entré ...
l'ENFANT ROI !!!
Tout de suite, c'est un festival : il échappe enfin à sa mère et se rue sur la plus proche des places libres ; il escalade la banquette et commence aussitôt une partie de trampoline, debout sur le siège, accroché au dossier. Naturellement, la mère (je suis désolée, c'est toujours la mère qui s'en occupe, le père ne s'y risque pas ) émet une timide protestation ("sois sage, Baptiste, mon chou, fais attention aux gens" ) ; Baptiste n'en a cure, mais soudain lassé, il se retourne et se laisse tomber assis sur le siège, les pieds en avant. Première victime, la rotule du type assis en face ; il esquisse un pâle sourire et marmonne d'une voix sourde : "ce n'est rien". Puis il frotte ostensiblement son pantalon.
Profitant de ce qu'il est assis, la mère tâche d'occuper le petit ange en lui présentant journaux et crayons qu'elle stockait dans un grand cabas (l'ouverture du cabas révèle aussi une provision impressionnante de boissons, sucreries, gâteaux, ... de quoi assurer une anesthésie totale par indigestion, en cas d'urgence ! ).
Comme je m'y attendais, journaux et crayons sont instantanément projetés au sol, d'un va et vient frénétique de l'avant-bras du petit Baptiste ; je ressens un frémissement de joie, pressentant l'imminence d'une beigne bien méritée ! Mon voisin semble lui aussi dans l'attente, il a levé les yeux de son journal... Nous sommes suspendus à la main de la mère !
Cruelle désillusion ! Jouant l'apaisement, la mère lance une sévère réprimande ("Non, Baptiste ! il ne faut pas faire ça, c'est mal !"), au risque de traumatiser le petit homme à vie ; quelques voyageurs plongent sous les sièges pour récupérer les crayons qui ont roulé et les feuilles éparpillées ; quelques rares individus ont l'air déçus et consternés.
Dans quarante ans, quand vous le reverrez, à la télé, hurlant dans son micro et tapant du poing sur la table, rappelez-vous le petit Baptiste et excusez-le : il a été bien maltraité par ses parents !
Je descends à Miro, avec l'envie de coller des claques à tout ce qui bouge ; demain, vendredi, je pars un peu plus tard, blouson cuir gris, pantalon à mi-mollets, bottines.
Alors, à demain ?